Sous ses paysages irradiés et ses mutants grotesques, Fallout cache une autre histoire, celle d’un monde en train de s’effondrer sous le poids de la peur et des ambitions humaines. Un préquel centré sur l’avant-guerre offrirait l’occasion d’explorer les racines morales et politiques de l’apocalypse la plus célèbre du jeu vidéo.
Depuis près de trente ans, l’univers désolé et radioactif de Fallout fascine les joueurs du monde entier. Entre ruines irradiées et sociétés renaissant des cendres, la saga de Bethesda s’est imposée comme l’un des piliers du jeu de rôle post-apocalyptique. Pourtant, un pan entier de son histoire demeure encore dans l’ombre : celui des jours précédant la Grande Guerre nucléaire de 2077.
Alors que la série télévisée produite par Amazon a brillamment exploité cette période à travers les souvenirs du personnage de Cooper Howard, la franchise vidéoludique, elle, n’a jamais osé s’y aventurer pleinement. Imaginer un préquel ancré dans l’ère pré-apocalyptique ouvrirait la voie à une relecture complète du mythe, explorant les tensions géopolitiques, les manipulations corporatistes de Vault-Tec et les mécanismes invisibles ayant conduit à la chute du monde.
Les ombres de l’avant-guerre : une mythologie à demi révélée
L’univers de Fallout s’est toujours nourri de ses zones d’ombre. Le créateur originel, Tim Cain, a souvent insisté sur le fait que l’identité du premier agresseur nucléaire importait moins que les conséquences morales et sociales du conflit. Cette ambiguïté volontaire contribue à la profondeur mythologique de la saga.
Cependant, soulever légèrement le voile sur cette époque de faux-semblants et de paranoïa pourrait conférer une nouvelle dimension à la narration.
Les allusions semées çà et là, dans les journaux, les enregistrements ou les ruines d’avant-guerre — laissent entrevoir une société gangrenée par la propagande, les inégalités et la surveillance corporative. L’adaptation télévisée a, de son côté, esquissé des pistes passionnantes sur le rôle de Vault-Tec, entreprise dont les abris n’étaient pas tant des refuges que des laboratoires d’expérimentation sociale à grande échelle. Certains indices laissent même supposer une implication directe de la compagnie dans le déclenchement du cataclysme.
Transposer ces révélations dans un jeu complet permettrait d’en explorer toutes les ramifications — politiques, économiques et humaines.
Réinventer le gameplay : du chaos nucléaire à la tension sociale
L’absence de terres désolées, de pillards ou de mutants n’équivaudrait pas à une perte, mais à une opportunité de refonder les mécaniques de jeu. Un titre centré sur la période pré-apocalyptique pourrait délaisser l’action brutale au profit d’une expérience narrative et immersive, où l’enquête, la diplomatie et la psychologie primeraient sur la survie.
On pourrait y imaginer une simulation sociale et politique inspirée d’œuvres telles que L.A. Noire ou Disco Elysium, dans un décor rétro-futuriste des années 2070 revisitant l’Amérique optimiste des années 1950.
Les joueurs incarneraient peut-être un employé de Vault-Tec, un journaliste d’investigation, voire un espion corporatif, naviguant dans un monde au bord du gouffre, où chaque choix moral aurait des répercussions à grande échelle.
Plongée dans une Amérique rétro-futuriste au bord du chaos
L’univers alternatif de Fallout, où les microprocesseurs n’ont jamais vu le jour et où l’atome est resté roi, constitue un terrain d’expérimentation unique pour les conteurs.
Dans cette version dystopique des États-Unis, les tensions avec la Chine autour des ressources énergétiques en voie d’épuisement entretiennent un climat de méfiance et de militarisation permanente. Sous le vernis des publicités souriantes et des gadgets nucléaires, la peur de l’effondrement social et écologique est omniprésente.
Un jeu s’inscrivant dans ce cadre pourrait interroger la manière dont les citoyens ordinaires vivent et participent à une société au bord du gouffre, où la propagande masque les fissures d’un monde condamné.
Des précédents prometteurs pour un concept attendu
La franchise a déjà offert quelques aperçus fugitifs du monde avant la chute : l’introduction de Fallout 4, le module Operation: Anchorage dans Fallout 3, ou encore plusieurs séquences de flashbacks disséminées dans les opus successifs.
Mais jamais Bethesda n’a osé consacrer un jeu entier à cette période fondatrice.
Le succès de la série télévisée, notamment ses segments retraçant les manipulations politiques et les secrets de Vault-Tec, a prouvé qu’un tel cadre narratif passionne le public. Un projet vidéoludique s’inscrivant dans cette voie pourrait révolutionner la licence tout en renouvelant son ADN thématique.
Préserver le mystère pour nourrir la fascination
Un préquel n’aurait pas vocation à dissiper toutes les zones d’ombre entourant la Grande Guerre. Au contraire, en préservant certaines ambiguïtés, le rôle des gouvernements, la nature exacte des conspirations, il renforcerait la tension dramatique et l’intérêt des joueurs.
Un récit centré sur la manipulation, les dilemmes moraux et les choix impossibles d’une société en déclin offrirait une profondeur inédite à la franchise.
Loin de trahir l’esprit de Fallout, cette approche le raviverait, en remplaçant la survie physique des Terres désolées par la survie éthique d’un monde encore debout mais déjà condamné.
Un regard vers le passé pour réinventer l’avenir de Fallout
En osant explorer l’Amérique de 2077 avant l’enfer nucléaire, Bethesda pourrait offrir le renouveau le plus audacieux de sa saga.
Entre satire politique, drame humain et thriller corporatiste, un tel préquel ferait de Fallout non plus seulement une chronique de la survie post-apocalyptique, mais une méditation sur la chute des civilisations modernes.
Un retour en arrière qui, paradoxalement, ouvrirait de nouveaux horizons narratifs, tout en rendant hommage à l’univers légendaire qui, depuis trois décennies, ne cesse de hanter l’imaginaire des joueurs.
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