Pour la première fois, la licence Anno s’aventure dans l’Antiquité. Résultat : un épisode somptueux, précis et exigeant, où la diplomatie, la foi et la culture s’entremêlent dans un équilibre aussi fragile qu’envoûtant.
Anno 117 : Pax Romana semble renouer avec une certaine pureté de conception. Pourtant, paradoxalement, la Rome antique n’avait jamais été explorée par la célèbre licence de gestion d’Ubisoft. L’éditeur franco-canadien corrige donc un oubli presque historique en invitant le joueur à plonger dans une époque que le jeu vidéo contemporain avait curieusement délaissée. Et le pari s’avère payant : cette incursion dans le monde romain se révèle d’une cohérence exemplaire, au point de faire naître une question évidente: pourquoi avoir attendu plus d’un quart de siècle pour franchir le Rubicon ?
Malgré la concurrence foisonnante du genre, Anno 117 s’impose comme une nouvelle réussite d’une série qui, loin de s’essouffler, continue de se réinventer sans jamais trahir son ADN.

Une immersion narrative au cœur de l’Empire
Le cadre scénaristique justifie pleinement les mécaniques de jeu. Le joueur incarne Marcus ou Marcia Naukratius, administrateur d’une province romaine prospère avant d’être envoyé aux confins de l’Empire, sur les terres brumeuses et indociles d’Albion. L’objectif : bâtir une cité durable, prospérer et imposer la paix romaine, la pax romana, dans un environnement où cohabitent tribus celtes, traditions ancestrales et luttes d’influence.
Libre au joueur d’affirmer sa domination par la diplomatie, le commerce ou la force armée. Si l’intrigue, globalement convaincante, sert efficacement de fil conducteur, sa construction narrative demeure plus convenue : de nombreux allers-retours entre alliés et rivaux rythment l’aventure, où l’on collecte des ressources, échange des marchandises et tente d’apaiser des tensions.
Cette liberté d’approche, bien que bienvenue, dilue parfois l’impact dramatique du récit : résoudre un conflit majeur par la négociation ou la guerre n’offre pas toujours le souffle épique attendu.
Un didacticiel narratif avant le grand large
Cette campagne solo se veut avant tout un guide d’apprentissage pour les néophytes désireux de dompter les arcanes du titre. Les joueurs aguerris, eux, délaisseront rapidement le scénario pour se plonger dans le mode bac à sable, véritable cœur battant de l’expérience Anno depuis ses débuts.

L’essence d’Anno, sublimée par l’Antiquité
Dès les premières minutes, le charme opère : construire, planifier, équilibrer, optimiser. La formule reste inchangée, mais raffinée. Le joueur doit ériger sa cité, établir une économie stable, gérer les besoins de sa population et négocier avec ses voisins.
Le défi réside dans la mesure : viser la prospérité sans céder à la démesure. Une expansion trop rapide se paye souvent d’un effondrement brutal.
Deux nouvelles composantes viennent enrichir la gestion : la foi et la culture. La première, véritable moteur spirituel de la cité, accorde des bonus divers, récoltes plus abondantes, pêche plus efficace ou meilleure production militaire. La seconde détermine l’identité de votre peuple : faut-il romaniser vos habitants ou préserver leur héritage celte ? Ce choix, loin d’être purement esthétique, influence la progression dans un vaste arbre de recherches et conditionne les possibilités d’évolution à long terme.
Diversité des ressources, richesse des territoires
L’exploration et la colonisation demeurent essentielles. Chaque île possède ses ressources uniques, obligeant à jongler entre exploitation, commerce et expansion. Les besoins diffèrent d’un peuple à l’autre : les Romains raffolent du vin et des produits raffinés, là où les Celtes privilégient la simplicité et l’artisanat.
Cette variété confère au jeu une profondeur économique et culturelle bienvenue, rompant la monotonie et encourageant les stratégies multiples.
Parmi les nouveautés notables : la possibilité de tracer des routes et d’orienter les bâtiments en diagonale, assouplissant quelque peu la rigidité des précédents volets. Si cette liberté demeure encore limitée comparée à des titres comme Manor Lords, elle illustre une volonté claire d’offrir davantage de personnalisation urbaine. Certains bâtiments exercent désormais un impact environnemental logique : une mine déplaît à proximité des habitations, tandis qu’une boulangerie renforce la convivialité… tout en accroissant le risque d’incendie.
Cette gestion des équilibres entre confort, efficacité et esthétique constitue l’un des plaisirs les plus raffinés du jeu. D’autant que les éléments décoratifs et l’architecture, somptueusement reconstitués, confèrent à chaque cité une authenticité visuelle remarquable.
La guerre, encore en apprentissage
L’introduction d’un système militaire terrestre marque une première dans la série. Le joueur peut désormais lever des troupes, organiser des formations et lancer des assauts. Toutefois, ces mécaniques demeurent perfectibles : la puissance brute tend à l’emporter sur la stratégie, et l’absence de contrôle individuel des unités réduit la finesse tactique.
Les affrontements navals, bien que plus aboutis que par le passé, souffrent encore d’une maniabilité imprécise. En somme, si la guerre enrichit le panel d’options, elle ne rivalise pas encore avec la maîtrise du volet économique, cœur historique d’Anno.
Un écrin visuel et sonore d’une grande richesse
Sur le plan artistique, Anno 117 frôle l’excellence. Les jeux de lumière subliment les matériaux, pierre, eau, métal et les variations climatiques participent à l’immersion. Quelques anomalies de textures viennent ternir le tableau, mais sans altérer la beauté d’ensemble.
L’environnement sonore, lui, s’avère exemplaire : la bande originale discrète mais envoûtante, les bruits de marché, de vagues et d’artisans contribuent à une atmosphère vivante, presque tangible. L’univers respire, bruisse, s’anime au rythme des journées romaines.
Un héritier digne, mais encore en quête d’équilibre
Anno 117 : Pax Romana s’impose comme un chapitre solide et inspiré d’une saga légendaire. Magnifique sur le plan esthétique, riche dans ses mécaniques économiques, audacieux dans son cadre historique, le titre trébuche toutefois sur certains aspects militaires et une ergonomie perfectible.
Mais l’essentiel est ailleurs : Ubisoft signe ici un retour ambitieux aux fondements du genre, alliant rigueur, contemplation et plaisir de bâtir. Anno 117 n’est pas seulement un hommage à l’Antiquité : c’est une célébration du temps long, celui de la construction, de la patience et du détail.
s2pmag Multimedia Lifestyle