Parmi les licences les plus emblématiques du catalogue de Nintendo, The Legend of Zelda occupe une place particulière, presque atypique. Ce jeu légendaire, malgré son statut parmi les plus prestigieux de la firme de Kyoto, se distingue par une singularité notable : il est l’un des rares à ne pas porter le nom de son héros principal. En effet, Zelda n’est pas le protagoniste, mais bien la princesse à sauver, tandis que Link, l’intrépide chevalier à la tunique verte, muet mais vaillant, s’efforce depuis près de quatre décennies de la libérer des griffes de Ganon.
Cependant, 2024 marque un tournant dans l’histoire de la franchise. Nintendo a décidé qu’il était enfin temps de placer la princesse Zelda au centre de l’action et de lui offrir, pour la première fois, une aventure qui lui est entièrement dédiée. Un choix audacieux, tardif diront certains, mais mieux vaut tard que jamais. Les puristes rappelleront peut-être l’existence du controversé Zelda: The Wand of Gamelon sur Philips CD-i, mais cette itération n’ayant jamais été reconnue par Nintendo, elle ne saurait faire office de contre-exemple pertinent.
Dans ce nouvel opus intitulé Echoes of Wisdom, Zelda devient bel et bien le personnage central. Toutefois, il convient de nuancer cet apparent changement de cap : la princesse ne prend pas les armes. Si ce choix éditorial peut s’expliquer par la nature même du gameplay, il n’en soulève pas moins des interrogations et ouvre le débat sur la place de Zelda en tant que véritable héroïne active. Certes, Zelda est jouable pour la première fois dans un jeu qui porte son nom, mais son rôle reste celui d’un personnage passif. Armée d’un sceptre magique, elle invoque des échos, des copies de créatures ou de Link, pour mener les combats à sa place. Ce constat laisse un goût amer, car si le jeu se distingue par sa dimension stratégique et créative, la frustration de ne pas voir Zelda brandir une épée est omniprésente tout au long de l’aventure.
Nintendo, en plaçant un sceptre entre les mains de la princesse, semble avoir voulu proposer une approche inédite, bien distincte des précédentes itérations de la franchise, notamment du remake de Link’s Awakening (2019), sur lequel Echoes of Wisdom est partiellement basé. Si Zelda n’a jamais eu un profil de guerrière, il est difficile de ne pas se remémorer son rôle plus offensif dans Hyrule Warriors, où elle pouvait, avec brio, décimer des armées entières.
Dès les premières minutes du jeu, on incarne Link dans un Hyrule visuellement proche de celui du remake de 2019. Cependant, rapidement, l’affrontement contre Ganon conduit à une situation dramatique : Link disparaît dans une faille spatio-temporelle après avoir libéré Zelda de sa prison cristalline. C’est à ce moment que la princesse, guidée par une fée nommée Tri, prend conscience de son devoir et se voit confier le sceptre de la sagesse, un artefact capable de mémoriser et reproduire des objets ou des êtres vivants rencontrés au fil de son périple.
Le gameplay repose entièrement sur cette mécanique : Zelda, dépourvue de capacités physiques pour se défendre, doit invoquer des échos d’objets ou de créatures pour progresser. Chaque écho a une utilité bien définie : une table permet par exemple de franchir des obstacles, tandis qu’un lit sert à regagner de la vie ou traverser des gouffres. Ce système ingénieux fait appel à la réflexion du joueur, mais il est limité par la capacité de Tri à invoquer un nombre restreint d’échos, ce qui oblige à faire preuve de stratégie.
Malgré cette originalité, le choix de rendre Zelda passive dans les phases de combat entraîne une distanciation qui peut s’avérer problématique. En effet, lorsqu’un affrontement s’éternise, le joueur devient davantage spectateur qu’acteur, frustré de ne pas pouvoir intervenir directement. Même lors du combat final, c’est Link qui vient à la rescousse pour vaincre le dernier boss.
Si Zelda peut temporairement se transformer en Link et utiliser son épée et son bouclier, ces moments restent éphémères, renforçant la frustration d’être privé d’une héroïne pleinement active. La variété des énigmes et des solutions apportées par ce système d’écho compense en partie cette passivité, permettant aux joueurs de s’approprier les puzzles de manière créative. Cependant, cette approche tactique, plus marquée que dans les autres jeux Zelda, risque de diviser le public.
Il est indéniable que Echoes of Wisdom innove par son concept et offre une nouvelle perspective sur le monde d’Hyrule. Les donjons traditionnels font leur retour, avec leur lot de puzzles environnementaux, une structure qui rappelle les heures de gloire des anciens Zelda. Cependant, les missions furtives et les combats de boss manquent parfois de profondeur et d’originalité. Certains ennemis, comme les dragons, ne présentent que peu de challenge, rendant ces affrontements moins mémorables.
En conclusion, bien que Echoes of Wisdom propose une aventure originale et différente, il ne fera pas l’unanimité. La place centrale donnée aux énigmes et à la réflexion pourra rebuter les adeptes d’une action plus directe, tandis que les fans de longue date apprécieront la liberté offerte dans l’exploration et la créativité des solutions. Mais une question persiste : Zelda, même dotée d’un sceptre magique, saura-t-elle un jour s’émanciper de son rôle passif et devenir l’héroïne guerrière que l’on attend d’elle depuis si longtemps ?